Cécile Martin
Nombre de messages : 49 Age : 41 Localisation : Paris 7 Date d'inscription : 18/05/2006
| Sujet: Infirmerie Psychiatrique de la Préfecture de Police de Paris Sam 20 Mai - 19:26 | |
| Un article de Libération : - Citation :
- Interné à vue
Sur la foi d'un simple procès-verbal, l'Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris détient 2 500 personnes chaque année, pendant 24 ou 48 heures. Une structure d'exception, vestige des asiles du XIXe siècle, où l'opacité demeure la règle.
Par Eric FAVEREAU jeudi 18 mai 2006
C'est un immeuble banal. Quatre étages, une façade qui aurait besoin d'être rénovée. Sur un côté, un panneau indique : «Accès pour le public.» Mais il n'y a jamais de public. Dans le quartier, il y a peu d'agitation. Au bout de la rue vivait Georges Brassens.
Nous sommes devant le numéro 3 de la rue Cabanis à Paris. Accolée à l'hôpital Sainte-Anne, trône l'Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police (IPPP). Fermée aux visiteurs. Aucun journaliste n'y a effectué le moindre reportage et toute demande à la préfecture de police de Paris se heurte à un silence radio. Au mieux, on reçoit une courte missive : «Ecrivez-nous.» Alors on répond, et on attend pour rien. «Le seul endroit en France où l'on peut retenir quelqu'un pendant vingt-quatre heures, voire quarante-huit heures, sans le moindre regard extérieur», selon les explications d'un membre du conseil de l'ordre des avocats.
Reste à savoir qui passe la porte de cet établissement et de quelle manière ? «J'avais un conflit avec un voisin dans l'immeuble, raconte une jeune femme plutôt aisée. Cela a dégénéré. Un matin, au printemps 2005, des policiers sont venus chez moi et m'ont demandé de les suivre au commissariat du Ve arrondissement. A mon arrivée, le commissaire m'a dit, sans autre mot d'explication : "Vous allez à l'IPPP." Un fourgon m'a déposé là-bas vers 16 heures. Je demande au premier infirmier que je vois qu'il m'explique ce que je fais là. Pour seule réponse, on me dit de ne pas m'inquiéter... Je repars en longeant une rangée de cellules et on me demande de me déshabiller. J'enfile un pyjama bleu et des pantoufles avant d'être placé en cellule : un lit, sans rien autour, et une fenêtre opaque. Pour se laver, il y a une baignoire disposée à la vue de tout le monde. Où est la dignité ? Pendant la nuit, un interne passe et m'explique que je suis là dans le cadre d'une enquête administrative. Le matin suivant, je vois le psychiatre qui m'indique que je représente une menace pour mon voisin. L'entretien ne dure pas plus de quinze à vingt minutes. Il ne me dit rien d'autre avant de me renvoyer en cellule. Finalement, en fin de matinée, le médecin revient et me dit que je peux sortir. On me donne un ticket de métro. Et je rentre chez moi.»
Au «fichier des aliénés»
Un scandale ? Un archaïsme surtout. L'IPPP est une très vieille histoire. Sous Napoléon III, le préfet de police avait justifié la création d'un lieu spécial, «afin d'empêcher qu'on ne laisse vaguer sur la voie publique des forcenés et des insensés». En fait, la police parisienne voulait un endroit pour retenir les personnes agitées. Elle tenait aussi que ce lieu soit placé sous sa responsabilité. Le 28 février 1872, le préfet de police Renault fonde alors l'infirmerie spéciale qui s'inscrit dans la nouvelle loi sur les hospitalisations en psychiatrie (lire ci-dessous). «Cette décision vise une personne constituant un danger pour l'ordre public ou compromettant la sûreté des personnes.» Le «danger» évoqué pouvant «n'avoir connu aucun commencement d'exécution, il suffit qu'il soit potentiel et imminent». A Paris, les personnes appréhendées «pour troubles de l'ordre public et suspectes de présenter des troubles mentaux» seront désormais systématiquement dirigées vers cette infirmerie psychiatrique.
Un simple procès-verbal de commissaire de police suffit à mettre le sujet en observation pour vingt-quatre à quarante-huit heures. Un temps de rétention censé être mis à profit pour réaliser des examens médicaux et délivrer un certificat transmis au préfet, seul habilité à prendre la décision d'internement. Ces certificats ? «On dirait des copiés-collés», ironise un psychiatre. De nombreux professionnels de santé estiment en effet que le médecin de permanence de l'IPPP se retranche derrière des propos vagues et stéréotypés d'ordre public, sans grand rapport avec la santé mentale. En 1970, pour marquer la différence avec le dépôt, où sont retenus les gardés à vue, l'IPPP est transféré rue Cabanis, sur un terrain loué à l'hôpital Sainte- Anne. Voilà pour le dispositif.
Le lieu, lui, est resté inchangé ou presque depuis ce temps. La préfecture de police de Paris gère même un «fichier des aliénés». Appellation d'un autre temps pourtant demeurée dans le langage officiel. En 1990, lorsque la loi sur l'hospitalisation de 1838 a été corrigée par le législateur, il y a bien eu quelques débats pour tenter de remettre Paris dans le droit commun. Mais le poids de la préfecture de police est tel que toute velléité de réformes est rapidement oubliée. Et l'IPPP est parvenue à sauver sa tête.
Rien qu'en 2005, 2 506 personnes ont été conduites à l'IPPP par les commissariats parisiens et ceux de l'aéroport de Roissy. En tout, 1 056 décisions d'hospitalisation d'office (HO) ont été prononcées ainsi que 286 hospitalisations à la demande d'un tiers et 275 hospitalisations libres. Parmi les personnes conduites à l'IPPP, 820 sont rentrées chez elles. Des chiffres relativement stables d'année en année. En 2000, on dénombrait 1 037 HO contre 882 en 2001.
Dans une interview publiée en 2005 par la revue de la préfecture de police de Paris, Xavier Péneau, sous-directeur de la protection sanitaire et à ce titre responsable de l'IPPP explique : «L'infirmerie psychiatrique est un service public médico-légal de diagnostic et d'accès aux premiers soins. Il accueille toute personne en état de crise et dont les troubles mentaux compromettent gravement l'ordre public ou la sécurité. Ces placements d'urgence ont lieu sur décision des commissaires d'arrondissement ou sur décision du médecin des urgences médicales judiciaires. Limité à vingt-quatre heures, exceptionnellement à quarante-huit, le passage à l'IPPP permet aux patients de décompresser et à l'équipe médicale d'effectuer un diagnostic afin d'orienter les malades vers les soins dont ils ont besoin.» Et d'ajouter : «L'une de nos préoccupations constantes est le respect des droits et des libertés des malades. Afin de renforcer cet engagement, une charte d'accueil et de prise en charge des personnes conduites à l'IPPP a récemment été élaborée. Encadrant tous les aspects du séjour, elle aborde les questions liées à la vie privée, à l'information du malade et de sa famille ou à l'aide que les patients sont en droit de recevoir pour effectuer leurs démarches administratives.»
Voilà pour la version officielle. Car, côté cour, les choses ne sont pas si simples. En témoigne la réunion qui s'est tenue à l'automne dernier entre de hauts responsables de la préfecture de police de Paris et la direction médicale et administrative de l'hôpital Sainte- Anne. En débat ce jour-là : le loyer et le terrain où est installé l'IPPP. La direction de l'hôpital aurait aimé récupérer le lieu. Le ton monte et le sous-préfet de police s'énerve. Et se fait menaçant : «Vous allez le payer, on a les moyens d'avoir votre peau», hurle-t-il devant des participants médusés. L'affaire en reste là. Pourtant, l'immeuble n'est plus conforme aux normes de sécurité et doit être rénové.
«Introduire la police dans l'hôpital»
«C'est l'éternel conflit entre le monde hospitalier et l'IPPP», défend le docteur Jean-Pierre Soubrier. Médecin chef de l'infirmerie pendant dix-huit ans, il estime que l'IPPP est un «très bon outil». «C'est une très grosse machine pour pas grand-chose, répond en écho un psychiatre de l'hôpital Sainte-Anne. Pour maintenir son fonctionnement, il faut qu'il y ait des raisons plus ou moins avouées.» «On y voit des pathologies uniques, reprend le docteur Soubrier, et surtout on voit des patients à des moments très particuliers, en pleine crise de violence.» Argument en faveur de l'infirmerie psychiatrique : le lieu serait un observatoire unique d'une folie très particulière, celle aux frontières de la violence et de l'ordre social. Pourtant, il est extrêmement rare que ces observations médicales donnent lieu à une publication scientifique.
A l'hôpital Sainte-Anne, le docteur Marie-Jeanne Guedj dirige le Centre psychiatrique d'orientation et d'accueil (CPOA), qui reçoit en consultation toute personne en perdition psychique. Un lieu qui enregistre cinq fois plus de passages que l'IPPP. Sur ces 10 000 visites, environ une seule par an nécessite une hospitalisation d'office. «Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas des hospitalisations sous contrainte, mais il n'y a pas besoin d'un IPPP pour le faire. A Lyon, à Marseille, partout ailleurs, cela marche très bien sans une structure d'exception», explique un psychiatre. Et Marie-Jeanne Guedj d'ajouter : «Quand l'urgence est traitée, il n'y a pas besoin de l'IPPP. Le problème, c'est la présence de plus en plus forte de la police et de la justice dans les affaires de santé mentale.» «Ce lieu ne sert à rien, précise un psychiatre. Sa seule fonction, c'est d'introduire un lieu de police au sein du monde hospitalier. On voit bien l'intérêt pour un préfet de police d'avoir cela, au cas où...»
Marie-Jeanne Guedj raconte comment, un week-end, des policiers sont intervenus pour interpeller un homme dans son service. Un toxicomane à la recherche de Subutex (un produit de substitution à l'héroïne) qui avait agressé un pharmacien place de la Nation peu de temps auparavant. «Quand le médecin de garde a voulu l'examiner, les policiers ont débarqué dans le service et l'ont embarqué.» Autre preuve de ce mauvais climat, l'existence de fiches de signalement très précis que le médecin doit désormais remplir dès qu'un malade sort sans autorisation, même s'il est hospitalisé volontairement. Ou encore ces réquisitions constantes destinées à savoir si une personne a été hospitalisée à Sainte-Anne. «Des demandes auxquelles on ne répond jamais, comme le conseil de l'ordre des médecins nous a conseillé de faire», conclut la directrice.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=382881
| |
|